La Fédération bancaire française s'est rendue à Bruxelles pour présenter ses 10 propositions "pour une société bien financée dans une Europe souveraine". Elle remonte au créneau sur la transposition des accords de Bâle qui affaiblirait selon elle les banques européennes face aux américaines. Décryptage.
A dix jours des élections européennes, les banques françaises sont allées déposer leur liste... de souhaits pour la future mandature 2019-2024. La Fédération bancaire française (FBF) s'est rendue à Bruxelles, jeudi 16 mai, pour présenter ses 10 propositions « pour une société bien financée dans une Europe souveraine »; à la presse bruxelloise d'abord, puis à la Commission européenne sortante, à laquelle le document de 20 pages a été adressé. Le lobby bancaire français, qui prêche naturellement avant tout pour ses intérêts, a insisté sur la nécessité d'un statu quo réglementaire.
« 50% de la production législative de la Commission européenne entre 2014 et 2019 a été consacrée aux services financiers », a fait valoir la FBF dans ce document. « Pour permettre aux acteurs financiers et à leurs clients de s'adapter aux contraintes réglementaires existantes et développer leurs activités, la prochaine mandature européenne devrait privilégier la stabilité réglementaire », a-t-elle avancé, en martelant qu'il est « indispensable de mener une étude d'impact des dix dernières années de réglementation sur le financement de l'économie. »
L'association professionnelle a mis en avant que « les banques de financement et d'investissement (BFI) européennes ont perdu 10 points de part de marché en 10 ans sur le territoire de l'UE, au profit quasi exclusif de leurs concurrentes américaines, pourtant à l'origine de la crise de 2008. » Une perte de compétitivité qui n'est pourtant pas seulement due aux contraintes réglementaires mais à des facteurs structurels (taille et dynamisme des marchés financiers américains notamment).
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Les banques françaises soulignent l'écart de rentabilité entre européennes et américaines qui « soulève la question de la capacité de l'industrie à financer à l'avenir dans de bonnes conditions l'économie européenne », dans un contexte de taux d'intérêt très bas qui pèsent sur leurs marges.
Compétitivité prudentielle et fiscale
Les banques françaises montent à nouveau au créneau sur deux points qui avaient enflammé les débats lors des négociations internationales dans le cadre de la révision des règles du comité de Bâle ("Bâle 3" ou "Bâle 4" pour ses détracteurs), qui avaient abouti à un accord en décembre 2017 : le traitement des crédits immobiliers (moins risqués en France car évalués sur la solvabilité de l'emprunteur et non la valeur du bien) et celui des financements structurés (aéronautiques, infrastructures, etc), spécialités françaises.
« L'impact de cette transposition augmenterait de 21,3% les exigences en capital des banques européennes contre seulement +1,5% pour les banques américaines. Pour les grandes banques européennes (GSIB), l'impact serait même de 28,4% » souligne la FBF.
La fédération illustre son propos d'un dessin de Gabs montrant un athlète au dossard européen qui doit enjamber plus de haies que les coureurs américain et chinois. Des obstacles portant les acronymes de règles prudentielles.
Le lobby, présidé par Laurent Mignon (le président du directoire de BPCE), demande aux futurs décideurs de Bruxelles de « veiller à la compétitivité des banques européennes en matière prudentielle et fiscale ». Par exemple en révisant la directive sur la résolution des banques en cas de défaillances (BRRD2) qui a instauré une exigence supplémentaire en fonds propres et dettes convertissables. Mais aussi en limitant les coûts de supervision, qui ont récemment flambé, notamment en lien avec le Brexit. Ou encore en revoyant le niveau de contribution au Fonds de résolution unique (FRU) : les banques françaises, qui en paient plus de 30%, risquent de ne pas être suivies par leurs voisines nullement désireuses d'augmenter leur quote-part. Autre suggestion: réfléchir aux « coûts cachés » de l'exonération de TVA sur les services financiers.
Dans un autre domaine, les banques françaises ressortent leur proposition de « bonus prudentiel » pour les investissements, le « Green Supporting Factor », soutenu par le commissaire aux services financiers Valdis Dombrovskis, et qui permettrait « d'accélérer le verdissement des bilans bancaires. » Et donc d'alléger les contraintes en fonds propres, comme cela existe pour l'investissement dans les PME.
Créer une Union de financement
Les banques françaises enjoignent les politiques, l'Eurogroupe et la Commission, de se saisir des questions de « l'indépendance stratégique de l'Europe en matière financière » et de la « compétitivité de l'industrie bancaire européenne », et de ne pas les laisser aux superviseurs « dont le mandat n'est pas d'assurer la croissance en Europe mais la seule stabilité financière ». Elles appellent à une relance de l'Union des marchés de capitaux et à une nouvelle étape de l'Union bancaire, afin de faire émerger une « Union de financement ». Les banques, encore récemment le Crédit Agricole, se plaignent des obstacles à la circulation des liquidités au sein de la zone euro, qui contribuent à la fragmentation des marchés et dissuadent les fusions transfrontalières.
« Une véritable reconnaissance prudentielle de la zone euro comme juridiction unique est indispensable » insiste la FBF. « L'Union bancaire ne doit pas être seulement une Union de la supervision; elle doit permettre de décloisonner des marchés nationaux pour faciliter les financements avec une meilleure allocation de l'épargne » plaide-t-elle.
Cette position ne fait pas consensus en Europe. « Le superviseur allemand ne veut pas que l'épargne allemande finance les entreprises françaises » décrypte un banquier de la place. De nombreux pays veulent que les filiales locales demeurent bien capitalisées et financées de manière autonome.
"Encourager l'indépendance européenne dans le paiement"
Dans la liste de ses envies, le lobby bancaire français n'a pas oublié un petit couplet sur les dangers des Gafa et autres nouveaux entrants issus du numérique, les startups de la Fintech.
« Il est essentiel d'assurer l'égalité concurrentielle (réglementaire et fiscale) avec les acteurs numériques lorsqu'ils interviennent dans le domaine financier », argue la FBF qui estime qu'«un des grands défis de la prochaine Commission européenne consistera à imaginer des solutions pour encourager une indépendance européenne dans le domaine des paiements. »
La profession insiste aussi sur la nécessité de favoriser « l'émergence ou le développement d'infrastructures de marché au sein de l'Union européenne. » Un sujet devenant encore plus pressant dans le cadre du Brexit.
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